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M comme…

 

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« Ta mère est partie, elle est morte. »

C’est comme ça qu’on me l’a annoncé. Je me souviens encore, il faisait très beau ce jour là, ce jour d’été ou je devais aller voir ma mère à l’hôpital une dernière fois pour lui dire au revoir. Elle ne m’a pas attendu…elle est partie, elle a fermé les yeux à jamais et elle a emmené tant de choses avec elle ce jour là et en a laissé des tas d’autres aussi…

Parmi ces choses laissées, il y a moi. J’ai douze ans, j’ai grandi avec le cancer, le cancer de ma mère. Je savais qu’elle allait partir, elle me l’avait dit depuis longtemps déjà. Elle me préparait comme elle pouvait à vivre et à surmonter l’insurmontable.

J’ai eu une mère formidable, un rayon de soleil, une femme courageuse, un sourire en permanence.

Lorsque je ferme les yeux aujourd’hui malgré les six années de lutte contre le cancer de ma mère, malgré les chimiothérapies, les souffrances, les nuits blanches, les frayeurs, les cicatrices, les faux espoirs, les bonnes nouvelles, les mauvaises aussi, c’est de son sourire dont je me souviens, j’ai oublié tout le reste. Elle m’a laissé son sourire.

Lorsque je rentrais de l’école, elle souriait. Lorsque je me levais le matin, elle souriait, lorsque j’ouvrais la porte de la chambre de l’hôpital , elle souriait.

Ma mère m’a laissé son sourire. Son sourire et son gêne.

Ces derniers temps, j’ai eu des tas de compliments, des tas de petits mots de soutien, des tas de commentaires sur ma vie, ce que j’ai traversé, ce que je traverse encore aujourd’hui.

Je ne dis pas automatiquement tout ce que j’ai traversé quand je fais la connaissance des gens et je souris toujours quand je finis par leur raconter le parcours semé d’embûches, de deuils et de batailles.

Lorsque que j’ai appris il y a deux ans, que j’étais porteuse d’une mutation génétique sur BRCA2, j’étais presque soulagée. Je n’avais jamais compris pourquoi la vie m’avait infligé de perdre autant. J’avais une raison, une raison scientifique à tous les deuils de ma vie. J’ai beaucoup pensé à ma mère à cette période. J’ai toujours entendu ma mère me dire qu’elle savait, qu’elle se doutait, que c’était en elle, un truc du destin. Son père était mort d’un cancer, sa tante aussi. Sa mort fut la première et la plus grande déchirure de ma vie.

On me demande souvent comment j’ai fait, comment je fais pour avancer.

Je n’y serai pas arrivé sans elle. Son sourire ne m’a jamais quitté. Son amour non plus.

J’ai eu énormément de chance, énormément. Ma mère m’a servi un amour concentré, sachant qu’elle partirait, elle m’a pourri d’amour, d’un amour fort, d’un amour pur, d’un amour indélébile. Un de ceux qui ne s’en va pas, un de ceux qui reste là, un de ceux qui chuchote quand j’ai l’impression que je ne vais pas y arriver, un de ceux qui crie quand j’ai l’impression que je vais tomber, un de ceux qui me relève quand je pense que c’est trop dur.

Non, je n’y serai pas arrivé sans elle.

Je ne pouvais continuer dignement ce manifeste sans lui dédommager cette journée, cette journée des mamans. Lui dire MERCI pour tout ce qu’elle m’a donné. 28 ans après sa mort, elle arrive toujours à me manquer, elle arrive toujours à me relever, elle arrive toujours à me guider.

J’ai eu la plus formidable des mamans.

Bonne fête maman.

« Ma mère est dans les cieux, les pauvres l’ont bénie ;
Ma mère était partout la grâce et l’harmonie.
Jusque sur ses pieds blancs, sa chevelure d’or
Ruisselait comme l’eau,
Dieu ! J’en tressaille encore !
Et quand on disait d’elle : « Allons voir la
Madone », Un orgueil m’enlevait, que le ciel me pardonne !
Ce tendre orgueil d’enfant, ciel ! pardonnez-le nous :
L’enfant était si bien dans ses chastes genoux !
C’est là que j’ai puisé la foi passionnée
Dont sa famille errante est toute sillonnée.
Mais jamais ma jeune âme en regardant ses yeux,
Ses doux yeux même en pleurs, n’a pu croire qu’aux cieux.
Et quand je rêve d’elle avec sa voix sonore,
C’est au-dessus de nous que je l’entends encore.
Oui, vainement ma mère avait peur de l’enfer,
Ses doux yeux, ses yeux bleus n’étaient qu’un ciel ouvert.
Oui, Rubens eût choisi sa beauté savoureuse
Pour montrer aux mortels la Vierge bienheureuse.
Sa belle ombre qui passe à travers tous mes jours,
Lorsque je vais tomber me relève toujours.
Toujours entre le monde et ma tristesse amère,
Pour m’aider à monter je vois monter ma mère !
Ah ! l’on ne revient pas de quelque horrible lieu.
Et si tendre, et si mère, et si semblable à Dieu !
On ne vient que d’en haut si prompte et si charmante
Apaiser son enfant dont l’âme se lamente.
Et je voudrais lui rendre aussi l’enfant vermeil
La suivant au jardin sous l’ombre et le soleil ;
Ou, couchée à ses pieds, sage petite fille,
La regardant filer pour l’heureuse famille.
Je voudrais, tout un jour oubliant nos malheurs,
La contempler vivante au milieu de ses fleurs !
Je voudrais, dans sa main qui travaille et qui donne,
Pour ce pauvre qui passe aller puiser l’aumône.
Non, Seigneur !
Sa beauté, si touchante ici-bas,
De votre paradis vous ne l’exilez pas !
Ce soutien des petits, cette grâce fervente
Pour guider ses enfants si forte, si savante,
Vous l’avez rappelée où vos meilleurs enfants
Respirent à jamais de nos jours étouffants.
Mais moi, je la voulais pour une longue vie
Avec nous et par nous honorée et suivie,
Comme un astre éternel qui luit sans s’égarer.
Que des astres naissants suivent pour s’éclairer.
Je voulais jour par jour, adorante et naïve,
la contempler.
Seigneur ! dans cette clarté vive-Elle a passé !
Depuis, mon sort tremble toujours
Et je n’ai plus de mère où s’attachent mes jours. »

Marceline Desbordes -Valmore

 

 

 

 

Amazone, Chère Amazone, je tenais à te dire Merci!

Crédit photo : David Jay pour The Scar Project

Il y a des rencontres qui vous marquent, qui ne vous laissent pas insensibles, qui vous transforment et vous font grandir…

Il y a des rencontres empreintes d’humanisme qui vous remplissent d’espoir et vous montrent que tout est encore possible…

D’abord celles des sœurs de la perpétuelle indulgence, qui, dans toute leur humanité, leur beauté, leur bonté et leur extravagance accompagnent les personnes atteintes du VIH. Ce sont elles, celles du couvent du nord qui ont organisé la rencontre avec les amazones, parce qu’elles ont élargi, leur questionnement sur le cancer du sein notamment via une exposition photographique dédiée au sein que j’ai pu voir au centre LGBTQF de Lille qui s’intitule « J’en ai un, j’en ai deux, j’en aurai, je n’en veux plus« .

Ensuite, Il y a toi, Angie, que je n’ai pas osé abordé, parce que ton témoignage trop bouleversant résonnait trop pour que je vienne te dire à quel point tu m’avais touché.

Et puis, il y a vous…les amazones.

Quand j’ai commencé à réfléchir à mon ablation, ce sont vers vos photos que je me suis penchée pour essayer d’imaginer à quoi mon corps aller ressembler. J’ai eu la chance, hier soir, de vous rencontrer, vous, guerrières debout dont le pull over laisse apparaitre la présence d’un seul sein.

Je tenais à vous remercier par cet écrit de votre témoignage, de votre travail , de votre présence, de votre énergie, de votre tolérance.

La soirée à débuté avec la projection d’un court reportage réalisé aux abords de Beaubourg à Paris, résultant d’un micro trottoir qui a pour objectif de retranscrire la réponse à une question simple : devant une photo d’amazone telle que celle située au début de cet article, que ressentez vous?

Quelques minutes pour entendre le meilleur, la bienveillance, la compréhension, le respect mais aussi le jugement, la monstruosité (terme employé par une personne interrogée), l’injonction faite aux femmes de la nécessité de se reconstruire après leur lutte déjà si épuisante contre le cancer.

Le débat qui a suivi cette projection posait la simple question ; est-on encore une femme aux yeux de notre société lorsqu’on voit un ou même nos deux seins disparaitre?

Le témoignage et la réalité de ce micro trottoir démontraient toute la violence reçue par ces femmes qui ont choisi de ne pas se « re »construire une poitrine après leur ablation.(je mets le « re » entre guillemets parce que, comme l’a signifié très justement une des amazones, rien que le terme reconstruction, sous entend que l’ablation d’un sein vous détruit) Violence d’ailleurs très fortement ressentie dans le milieu médical où on vous parle tout de suite de reconstruction immédiate sans vous laisser la possibilité d’imaginer que sans seins vous pourriez tout simplement être heureuse, épanouie voire vous sentir belle!

La projection à été suivie d’une lecture d’un texte qui m’a complétement bouleversé tant il décrivait les étapes, toutes les étapes, le ressenti, les phases en post opératoire d’une ablation. Toutes ces questions que je me suis posée, toutes ces questions , ces sentiments, ce bouleversement qui m’ont envahi, tout ce qu’on a pu me renvoyer. Ce texte est extrait d’un livre écrit par Annick Parent, une des deux amazones présentes.

J’avoue que cette rencontre m’a profondément marquée, d’une part, par l’interrogation qu’elle suscite sur le parcours médical et le discours qu’on me tient depuis le départ de mon choix opératoire. Puis, je dois bien l’avouer, qu’il résonne de manière forte, pour moi, qui tient des positions féministes et qui lutte contre toutes ces injonctions que la société nous impose sous le prétexte de remplir les critères esthétiques du genre féminin. En bref, sois belle, mince, ait deux seins, un vagin et de préférence…ne réfléchis pas. (J’exagère mais presque pas …)

Injonction faite à ces femmes au point de ne pas respecter le combat qu’elle ont déjà mené , au point de ne pas faire preuve de toute l’humilité qui s’impose devant la maladie qu’aucune d’entre elles n’a choisie, au point de réduire une femme à sa corporéité.

Alors Merci à vous, les sœurs de la perpétuelle indulgence pour vos sourires et votre humanité.

Merci à toi Angie, d’être si bouleversante de sincérité.

Et Merci à vous, les amazones d’avoir changé mon regard sur ce buste sans seins marqué par le combat qui ne signifiait rien d’autre pour moi que souffrance de la maladie jusqu’au deuil. Merci à vous de m’avoir montré aussi qu’il pouvait être le témoin d’un combat, d’une acceptation, d’un choix, d’un réel positionnement, de la vie tout simplement de la vie.

Merci à toi, Annick, d’avoir écrit ce magnifique texte et de m’avoir regardé avec toute la tolérance en me disant que le bout du chemin n’était pas loin.

Je vous regardais déjà comme des guerrières, je ne peux qu’admirer votre beauté.

 

 

Ma soeur… « Mon âme soeur »

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L’écriture est parfois douce mais parfois très difficile. L’envie d’écrire un article sur ma soeur est présente depuis le jour où j’ai ouvert ce blog , je la regarde au fil des jours se battre contre son cancer et je l’admire, la trouve courageuse et tellement belle!

Vous présenter la liste des guerrières que je croise au COL (Centre Oscar Lambret de Lille) depuis que je suis suivie en oncogénétique ressemblerait à une longue liste d’héroïnes sans couleurs si je ne commence pas par rendre hommage à ma soeur!

Agée de quatre années de plus que moi, elle a toujours été protectrice et maternelle, assumant pleinement ce rôle que la vie lui a infligé très tôt, ce rôle de « grande » soeur. Je dois dire que lorsque je prononce aujourd’hui le mot « grande » soeur, il prend toute son ampleur! Elle est depuis un an et demi, un exemple et plus que jamais… mon pilier.

Elle n’a pas eu la même chance que moi, le cancer lui a été diagnostiqué, elle n’a rien choisi et a du subir une chirurgie mutilante en urgence d’un sein suivi d’une lourde chimiothérapie et d’une radiothérapie le tout couronné d’une reconstruction mal appréhendée autant par elle que par les médecins qui la suivent.

Elle souffre. Elle souffre beaucoup. 

Souvent en silence, comme ma mère a pu nous l’apprendre lorsque nous étions petites,  toujours avec le sourire et la force qu’il faut pour que ses enfants ne s’aperçoivent de presque rien et pour ne pas m’imposer une répétition dans laquelle, elle, vertigineusement et infailliblement, se projette.

Elle a mis plus de quinze jours à me dire, m’avouer ce lourd diagnostic, cette annonce qui lui a été d’une violence inouïe. Elle me raconte souvent qu’elle n’a pas dormi, qu’elle a regardé ses enfants  en pensant qu’elle n’allait pas survivre comme notre mère.

Car le problème est bien là, le gène nous vient de notre mère, celle qui nous a appris qu’il fallait se battre pour survivre mais c’est aussi celle qui n’a pas survécu.

Je lui répète souvent qu’il y a 25 années d’écoulées et que les choses ne sont plus pareilles…petit à petit , on y croit, on se persuade, on rit!

Elle a, je dois dire, une force incroyable que j’admire, une élégance, un humour inébranlable. Je l’ai vu pleuré, je l’ai vu souffrir, je l’ai vu grandir. Elle est devenue en un an et demi, une autre personne, qu’elle revendique pour se différencier de cette mère à qui elle ressemble tant!

Elle va bien et se prépare à enlever son deuxième sein et ses ovaires dans quelques jours, toujours plus combative, toujours plus rassurante.

Elle est pour moi une guerrière sans nom, sans adjectif, sans mesure, une guerrière éternelle, une femme que j’accompagne depuis un an et demi devant ses plus profondes angoisses et qui arrive sans cesse à m’étonner.

Et Grande soeur, regarde comme je t’aime

Et grande soeur, je suis près de toi, je te lâche pas!

« La guerrière sans seins »*

J’ai toujours été en décalage par rapport aux autres, les événements de ma vie m’ont toujours donné cette impression.

Lorsqu’à six ans, mes petits camarades apprennent à lire, ma mère m’explique son cancer, à dix ans, je dois l’aider à se lever, à onze ans, elle me demande qui je suis lorsque je rentre dans la chambre d’hôpital et à douze ans, on m’apprend qu’elle est partie…

L’éternelle blessure de ma vie.

Un malheur n’arrivant jamais seul, mon père décide  de ne plus assumer ses responsabilités paternelles et part voguer vers d’autres horizons (Je lui dédicacerai peut être un petit article un jour…) , je me retrouve en foyer social à 14 ans.

J’entererrai mon seul repère masculin trois années plus tard du cancer, mon oncle maternel, un homme que j’admirais tant. Ma grand mère maternelle partira elle aussi du cancer deux ans plus tard, j’ai 19 ans quand je la laisse rejoindre ses enfants.

J’ai mis des années à me construire, des années à paraitre, à cacher ces blessures, puis le temps d’assumer est arrivé, j’ai travaillé dur, fondé une famille, appris à accepter et j’ai apaisé mes souffrances. Je suis devenue reine dans l’art de la résilience.

Mais c’est à l’apogée de mon art, le lendemain de mes 37 ans, que celle avec qui j’ai tout partagé, tout traversé, m’apprendra qu’elle doit se faire opérer, ma sœur… « mon âme sœur » à déclaré un cancer du sein. Nous apprendrons quelques mois plus tard que nous sommes porteuses toutes les deux de l’altération génétique BRCA2.

J’ai 38 ans et quand certaines de mes copines s’apprêtent à fêter leur 40 ans, moi c’est à une nouvelle paire de seins que je pense!

Surnommée « La guerrière sans seins » par le magazine ELLE, Laetitia Mendes vient de faire paraitre un ouvrage intitulé « Mon petit gène, ma seconde chance« .

Je dois avouer que cet ouvrage m’a réconcilié avec mon parcours et m’a fait comprendre, moi qui me suis ironiquement toujours dit, que les petites étoiles comme la petite cuillère faisaient partie des abonnés absents de ma vie, que les femmes porteuses de cette altération génétique étaient frappées par des parcours de vie pouvant parfois ressembler à des parcours de guerre.

C’est un récit poignant, qui par les similitudes de mon parcours m’a énormément touché mais également conforté dans le fait qu’il était temps de parler de cette altération génétique.

Et mon féminisme assumé, me fera écrire aujourd’hui que ce n’est pas une « guerrière sans seins » mais une guerrière tout court!

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Article ELLE, « La guerrière sans seins » du 22/10/2014