Mois: juillet 2015

Tour de poitrine, 12 ans et demi!

Je me réveille, je ne comprends pas trop ce qui se passe mais tout de suite la douleur arrive, le temps de reprendre mes esprits et la morphine fait effet, la première nuit passe. ça y est! c’est fait, j’ai subi ma double mastectomie.

Cette première nuit est difficile, chaque respiration est difficile, je sens une pression, comme un étau quelque chose de lourd sur ma poitrine, j’arrive à fermer les yeux et à m’apaiser, l’anesthésie fait encore effet. Mon sommeil est rythmé par le sourire de l’infirmière qui vient vérifier mes constantes toutes les deux heures…merveilleuse infirmière qui me rassure…

4h du matin…le fameux test du pipi…(ah j’ai dit… je vous parlerais de tout…j’ai trouvé ça drôle dans ce moment si difficile).

Il faut remettre en route mon corps, l’infirmière m’explique que pour que ça marche, je dois me convaincre :

« je dois faire pipi, je dois faire pipi, je dois faire pipi »

…alors en bonne patiente et devant le sourire de cette si gentille infirmière qui à l’air dix fois plus convaincue que moi…je répète, je me concentre, je répète, je me reconcentre, je répète à nouveau…

« Je dois faire pipi, je dois faire pipi, je dois faire pipi »

…bon ben ce qui est sûr c’est que l’auto-persuasion sur ma vessie, ça marche pas!

L’infirmière abdique et me dit…l’anesthésie doit encore faire effet! oui…ben oui!!!

J+1, 8 heures du matin, je peux déjeuner, youpi! je suis toujours shootée sous morphine mais j’avoue que ce jour là, j’ai eu une une montée d’adrénaline, une sorte d’euphorie dominant complétement la douleur, je l’ai fait, putain, je l’ai fait! je lui ai massacré la tronche à ce BRCA2!!! tu pourras toujours chercher …ahah…plus de glande mammaire, c’est fini, plus de mammographie, plus d’IRM, plus de scanner, plus d’angoisse, de peur, de mauvaise projection…je l’ai fait, j’ai renversé la vapeur, je pense à ma mère, à ma grand-mère, à mon oncle, à ma soeur…

Ma soeur qui s’effondrera en larmes ce jour là en rentrant dans la chambre d’hôpital…ma soeur…je te dois bien ça! Il ne m’aura pas ce fichu cancer, il ne nous aura pas!!!

J+2 ; j’ai toujours mal, cette pression…j’ai entrevu, je n’ai pas regardé, je n’ose pas regarder mais c’est plat, ça m’a l’air très plat…je ne comprends pas. On m’explique que j’ai des « expandeurs » (des sortes de prothèses mais gonflables, non gonflées pour l’instant) et non des prothèses, que le terme « reconstruction immédiate » veut dire garder l’étui, la peau, le mamelon, l’aréole, nickel…c’est mon cas.

L’opération est donc médicalement un succès mais dans ma tête, c’est plat, trop plat. Ce jour là, on m’enlève les pansements.

Pansements ôtés, je suis seule dans la chambre, je n’ai toujours pas regardé. Ma curiosité est plus forte, je me lève , je me dresse devant le miroir et j’ouvre ma chemise.

C’est sans doute, le moment le plus difficile, le plus violent. Je ne sais pas si je dois vous parler de l’impression faite. J’ai tremblé, de tout mon corps, je me suis effondrée en pleurs. j’ai dû m’asseoir. j’ai crié de douleur.

Je ne sais pas si je dois vous parler de ce torse déformé, malmené car à J+15, je n’ai pas du tout la même vision à part que c’est toujours plat!!

On projette un tas de choses quand on doit subir ce type d’opération, j’avais vu quelques photos d’amazones, de ces femmes guerrières si fortes…on projette un tas de chose mais jamais ce qu’on voit ce jour là en vrai.

Je réalise ce jour là, ce qui s’est passé corporellement , je ne parle pas de la victoire sur cette maudite mutation mais des traces sur mon corps. Je réalise ce jour là qu’on m’a enlevé mes seins, qu’ils ne sont plus, qu’ils ne seront jamais plus, tout au moins ceux que j’avais, ceux avec lesquels je suis devenue femme, ceux avec lesquels je suis devenue mère, ils ne sont plus.

J’ai beaucoup pleuré ce jour là, j’ai fait mon deuil, j’ai eu au peur aussi de la réaction de mon mari devant ce corps déformé, mutilé. J’ai eu très peur.

J+4 Je rentre à la maison! je suis très affaiblie mais je rentre car tout va bien sur le plan chirurgical. Je n’arrive pas à me regarder, je n’arrive pas à toucher. Mon mari m’aide et prend le relais des soins. La vue est difficile. Les premiers jours , j’ai caché les miroirs, c’était trop dur. J’avais beaucoup de douleurs et cette pression qui semble m’étouffer parfois.

Quelques jours ont passé et ma fille, mon ainée de 8 ans m’a dit cette petite phrase magique :

« Maman, tu sais, je m’en fiche, que t’as plus de totottes, c’est pas grave, t’es toujours aussi formidable, le reste c’est pas important »

Cette petite phrase, cette pépite m’a fait passé de l’autre côté. Petit à petit, je me suis regardée, j’ai accepté. Je suis pareille, rien n’a changé, je suis la même.

Par contre je suis toujours plate 😉 tour de poitrine : 12 ans et demi…on m’a toujours dit que la chirurgie esthétique rajeunissait mais là je dois avouer…ils n’ont pas lésiné!

j’ai eu comme réflexe d’aller me chercher des prothèses, des soutiens gorge rembourrés… ne supportant pas cette « platitude » et puis…là aussi, j’ai accepté, c’est mon histoire, mon combat, je suis plutôt fière de ça, fière de ce corps qui guérit vite!

J+15 je vais bien, je suis fatiguée. Fatiguée par les antidouleurs, douleurs qui se sont amoindries , Dieu Merci! je fais à peu près tout, tous les gestes mais je ressens à quel point nous utilisons pour tout ce fameux muscle pectoral! j’ai beaucoup de mal à conduire, la gestuelle nécessaire est trop douloureuse…et je suis toujours plate! (ça repousse pas!! 😉 )

Je me regarde dans le miroir chaque jour et j’imagine ma reconstruction, mes futurs seins, ma nouvelle vie.

C’est douloureux, c’est vrai, mais les douleurs finissent par passer.

Je suis heureuse de l’avoir fait, je me sens soulagée!

Maman…j’ai réussi, je l’ai fait, j’ai gagné! ❤

Taisez ce gêne que je ne saurais voir!

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« Ce n’est pas une bonne nouvelle »

C’est à peu près tout ce que j’ai retenu de mon entretien de résultat de dépistage génétique. Le reste est une liste de pourcentage de risques, de conseils en prévention, de choix à faire, les informations sont lourdes et indigestes.

L’entretien est lourd et solennel. Je suis ressortie de ce bureau, j’ai traversé ce long couloir avec un sentiment de culpabilité mais également avec le sentiment amer que ma vie ne serait plus pareille.

J’avais déjà vécu beaucoup de choses difficiles mais moi, qui m’était relevée en me disant que le cancer faisait partie intégrante de mon enfance, je devais dorénavant le conjuguer au présent voire au futur.

Le cancer fait partie de moi même, il est ancré dans un de mes gênes.

Paradoxalement, je n’ai pas souffert au moment de l’annonce. J’avoue que j’étais dans une ambiguïté profonde depuis l’annonce des résultats de ma sœur qui me condamnait à porter une culpabilité envers elle en cas de résultat négatif.

La réalité est tout autre aujourd’hui et si les résultats m’ont plongé dans une équivalence de pourcentage de risques, ils m’ont aussi plongé dans une vie de « mutante » aux yeux de l’institution médicale mais également aux yeux de toutes les autres institutions. On vous conseille d’ailleurs de ne pas le divulguer lorsqu’on vous communique des résultats positifs. Bon ben , pour ma part, c’est un peu raté, j’ai décidé d’y consacrer un blog!

Le culte du secret s’installe alors.

Vous sortez du centre de cancérologie, vous reprenez votre vie comme si de rien n’était à part que vous recevez une lettre de ce même centre à peu près toutes les semaines, que vous y êtes au moins une fois par mois pour le suivi et la prise en charge et qu’on vous transforme malgré vous, en « malade du cancer potentiel »

Dans les sciences de l’information et de la communication, ma section universitaire, le secret est un objet de recherche. On l’étudie, on le décortique, on observe ses répercussions et la manière dont il peut peser voire transparaitre dans certaines situations, Bref, le secret, c’est un sujet que je connais bien.

Je connais également les droits liés au secret notamment le devoir de confidentialité imposé sous le socle du fameux « secret médical »

J’ai reçu, il y a une semaine, par courrier, les résultats de mon IRM et de ma mammographie pré-opératoire. Habituée à recevoir, maintenant, des lettres du centre de cancérologie où je suis suivie, j’ai donc ouvert ces résultats sans appréhension aucune.

 

« Mme, veuillez recevoir vos résultats… »

Je passe  très vite au premier feuillet et balaye les résultats de manière quasi photographique

Deux phrases sautent à mes yeux ;

Patiente classée BRCA2

Jusque là tout va bien et un peu plus bas…

Tumeur 20mm sein gauche

Mes yeux se sont figés. Mon cœur aussi…le sol s’est dérobé sous mes pieds et une douleur est venue s’installer dans mes entrailles.

et je ne sais pas pourquoi, le premier réflexe que j’ai eu à été de me dire que ce n’était pas possible, que ce n’était pas moi..
Et quelle fut ma surprise, quand mes yeux ont décidé de quitter cette sentence, de voir en effet que ce n’était pas moi, mais les résultats d’une autre patiente.

Ils ont inversé. J’ai reçu les résultats d’une autre patiente.

Le culte du secret est brisé.

J’ai reçu depuis toutes sortes de mails et lettres d’excuses mais je ne cesse de me demander si cette patiente à reçu mes résultats (bénins, sans lésion suspecte) au lieu des siens car dans ce cas, le culte du secret doit être bien lourd à digérer.